— Vendredi 25 novembre 2022 à 19h
« La Place est une revue féminine (produite entièrement par des femmes) et féministe (destinée à porter le combat des femmes). Pourquoi vous a-t-elle semblé nécessaire en Algérie aujourd’hui et comment est-elle reçue ?
Dans ma vie professionnelle et personnelle, je sentais ou observais de plus en plus la difficulté à faire entendre les idées des femmes. J’ai été très perturbée en prenant conscience qu’il y avait trop peu d’écrivaines qui étaient éditées, trop peu de femmes interviewées dans la presse, trop peu de femmes invitées dans les médias pour leurs aptitudes à analyser la situation dans le pays ou dans le monde… Je me suis intéressée en même temps à l’histoire du mouvement féministe en Algérie et aussi à la réalité sur le terrain, et j’ai pris conscience de la rareté de la documentation sur tout ce travail militant accompli. L’idée de cette revue était tout simplement de créer un espace pour donner à la pensée des femmes les moyens de se déployer, par des entretiens, des présentations d’œuvres, etc.
Avec le format revue (annuelle ou semestrielle), il est possible de prendre du temps, de développer au mieux ses idées sans trop de contraintes de longueur. La précision est donc permise, et nous essayons de faire en sorte que la pensée ou les idées des femmes qui s’expriment dans la publication ne soient pas déformées ou réduites. L’idée est aussi de faire intervenir des profils différents, des militantes, des artistes, des chercheuses, et de leur donner la possibilité de s’exprimer sur des sujets qui concernent tout le monde et pas seulement sur leur condition de femme, ce qu’elles sont souvent appelées à faire les rares fois où l’on daigne leur accorder de l’intérêt ou de l’espace.
L’équipe est entièrement féminine parce qu’il s’agit de montrer la qualité du travail fait par des femmes dans chaque aspect et chaque étape de la réalisation du projet (photos, graphisme, correction, etc.). Pour évoquer la réception de la revue, il est amusant de noter qu’à chacune des rencontres que nous avons animées au moment de la sortie de La Place, cette question sur l’équipe 100 % féminine revenait, souvent sous forme de reproche ; c’est à chaque fois l’occasion pour nous de pointer du doigt la quantité de lieux et de projets qui ne réunissent que des hommes sans que cela soit même relevé. Il s’agit là d’un détail, mais significatif sans doute. Plus généralement, nous avons constaté une curiosité nouvelle pour le mouvement féministe, pour le concept même de féminisme, qui est en fait nouveau en Algérie. C’est le Hirak qui a fait émerger le mot, qui l’a fait sortir du cercle militant. La revue constitue aussi une tentative de créer ou de poursuivre le débat autour du mot « féminisme », de le rendre plus concret et moins effrayant à long terme.
Extrait de l’entretien de Maya Ouabadi avec Tiphaine Samoyault pour la revue en ligne En attendant Nadeau (intégralité ici : https://www.en-attendant-